Comprendre la dépression et ses psychothérapies par la métaphore du trou

“Etre au fond du trou” est une image fréquemment utilisée par les personnes dépressives pour décrire leur sentiment. Allons au bout de cette métaphore pour comprendre cette pathologie et quatre des principales psychothérapies qui s’y attaquent.

“Je suis au fond du gouffre”, “je m’enfonce chaque jour un peu plus”, “je sombre”, “je vacille au bord du gouffre”… les expressions ne manquent pas pour décrire sa souffrance psychique. Celle-ci est bien souvent vécue comme un mouvement vers le bas, vers le noir, avec une sensation de risque imminent ou d’absence d’échappatoire. Ce genre d’image sera facilement évocatrice d’expérience désagréable pour tout un chacun. A moins que les spéléologues… allez savoir.

Ce côté évocateur m’a décidé à m’arrêter aujourd’hui sur les formulations suivantes : “je suis au fond du trou” et “je m’enfonce de plus en plus”. Elles peuvent en effet être utilisées pour illustrer très facilement ce qu’est la dépression, comment elle fonctionne au quotidien, et comment quatre approches psychothérapiques importantes envisagent la thérapie. J’ai nommées : la psychanalyse, les thérapies cognitivo-comportementales, l’hypnose eriksonienne et les thérapies familiales systémiques.

D’où vient le trou ?

Quand on est dépressif, cette question de la cause revient beaucoup dans notre esprit, sous forme de ruminations du passé. Pourquoi moi ?

Nos parents, notre famille, nos événements de vie récents ou précoces, notre personnalité sont les grands favoris dans la course. J’attire cependant votre attention sur le fait que les incriminer présuppose que le trou était là avant nous, totalement creusé et que par malchance nous sommes seulement tombés dedans.

Oui, peut-être…

Mais peut-être pas.

Tout d’abord, vous admettrez que quand on est dans un trou, savoir pourquoi nous y sommes est bien moins capital que de nous permettre d’en sortir. Un peu comme Bouddha répondait aux brahmanes l’interrogeant sur l’origine de l’univers : “quand on vous a tiré une flèche dessus, quel intérêt de se demander qui a tiré, pourquoi et comment ? C’est retirer la flèche qu’il faut.”

Ensuite, considérez l’expression “je m’enfonce de plus en plus”. N’avez-vous jamais remarqué cette admirable ambigüité de langage qui fait que la phrase peut être comprise de deux façons opposées ? Dans la première version, celle que l’on comprend spontanément, on s’enfonce comme dans des sables mouvants. Impossible de se retenir à quoi que ce soit, on subit passivement cette descente aux enfers. Or, dans la seconde version, on est actif. On creuse avec énergie et on s’enfonce de plus en plus, logique.

En effet, le malheur quand on est dépressif est que l’on creuse activement, de façon réflexe, et sans s’en apercevoir vraiment.

Par exemple :

  • nos comportements sociaux sont peu adaptés (on déprime facilement autrui, on se plaint beaucoup ou on reste trop silencieux, on recherche trop d’aide d’autrui jusqu’à lasser ou au contraire on s’isole totalement, on est parfois agressif…).
  • notre interprétation de la réalité est excessivement lugubre (“c’est toujours ma faute”, “personne ne m’aime”, “c’est toujours pareil”, “je rate tout ce que j’entreprends”, “je suis nul”…).
  • nos occasions d’avoir du plaisir se limitent (baisse de l’envie de faire des activités plaisantes, par fatigue ou par flemme…).

Ce n’est pas notre faute, c’est la maladie dépressive qui provoque cela. Mais cela se manifeste de manière active, au quotidien. Aussi, comme nous creusons encore et encore, le trou dans lequel nous étions tombés était à l’origine bien plus petit. Et ainsi, quand on laisse passer du temps, nous nous enfonçons effectivement dans un gouffre dont nous avons de plus en plus de mal à sortir.

Au début, une bonne poussée des jambes suffit. Puis il faut une main secourable, d’un ami ou d’un conjoint par exemple. Puis il faut une échelle. Puis une corde. Puis il faut appeler les pompiers.

Tout ceci est très triste. Néanmoins cela a un avantage, c’est que c’est un bon point d’accroche pour une psychothérapie adaptée.

Hey, mec, tu me fais sortir, j’ai pas que ça à faire, moi !

Le dépressif appelle à l’aide.

Et pas qu’un peu.

Seulement il y a deux problèmes qui peuvent se poser. L’objectif est parfois mal choisi et la façon d’appeler à l’aide n’est pas toujours très adaptée.

L’objectif parfois mal choisi est devouloir qu’autrui nous fasse sortir de trou, et qu’il fasse un peu tout le boulot. Ce n’est pas toujours le cas, mais cela peut se présenter quand on est dans une inertie totale et une grande difficulté à se bouger à cause de la fatigue et du découragement.

Et parfois ça fonctionne ! Parfois un entourage très prévenant, très aimant, et bien mobilisé nous jette une épaisse corde à noeuds et nous hisse hors du trou en nous tractant comme un poids mort. Mais malheureusement si cela fait sortir du trou, cela n’empêche pas de recommencer à creuser deux mètres plus loin. Sortir définitivement de la dépression nécessite vraiment un investissement actif de la part du dépressif.

Au niveau de la façon de demander de l’aide, il y a trois stratégies peu adaptées. Toutes trois ne sont pas obligatoirement présentes, mais il est rare qu’il n’y en ait aucune.

  • La première façon est de demander à ce qu’on nous sorte du trou, de demander, de demander, et de demander encore, et puis encore, et encore et encore, et toujours. A un tel point que cela lasse l’entourage avec une efficacité redoutable et altère donc sa mobilisation, son empathie, et la qualité de son soutien.
  • La seconde est de ne jamais demander d’aide, en attendant que l’entourage se rende compte par lui-même que l’on est dans un trou. Seulement l’entourage a ses propres problèmes et ne réalise pas nécessairement. Ou bien il s’en rend compte mais notre retrait dans la solitude devient un repoussoir et est perçu comme de l’ingratitude.
  • La troisième est de demander de l’aide avec agressivité au fur et à mesure que se développent des rancœurs envers l’entourage. Oui, c’est injuste, tous vivent leur vie tranquillement à la surface quand nous sommes au fond du trou, et ils s’en foutent. Donc soyons clair. Oui, c’est injuste. Oui c’est douloureux. Et oui, parfois, les autres s’en foutent, même si ce n’est pas toujours le cas. Mais l’important est de demander de l’aide d’une façon nous permettant d’en obtenir effectivement pour sortir.

Alors, considérant cela, comment est-il possible d’utiliser cette même métaphore pour comprendre quatre méthodes psychothérapiques ?

La psychanalyse : pourquoi êtes-vous tombé dans un trou.

En psychanalyse, la question du pourquoi est fondamentale. L’idée est que si l’on trouve pourquoi nous sommes à l’origine tombé dans un trou, nous arrêterons de creuser et nous pourrons enfin en sortir.

Cette approche ne s’occupe que peu – ou pas – des dégâts que nous faisons avec notre pelle en creusant chaque jour. Elle considère plutôt que si on nous empêche de creuser, un autre problème plus grave se manifestera chez nous.

Je ne suis pour ma part pas trop favorable à l’utilisation de la méthode psychanalytique dans la dépression, même si je reconnais volontiers l’intérêt de cette approche dans d’autres cas.

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : arrêter de creuser

Les TCC partent d’un double principe pragmatique en opposition avec l’approche psychanalytique. Tout d’abord on ne pourra jamais vraiment savoir d’où vient le trou d’origine où nous sommes tombés. Et ensuite quand bien même on le saurait, cela n’empêcherait pas de creuser pour autant.

En conséquence l’objectif thérapeutique est centré sur le fait de creuser, c’est-à-dire sur ce qui dans le présent, fait que nous sommes dans un trou.

Ainsi il s’agit de nous permettre

  • de repérer quand nous sommes en train de creuser
  • d’arrêter de creuser
  • d’utiliser notre pelle d’une manière nous permettant de sortir du trou. Par exemple, en partant d’où nous sommes pour creuser un tunnel qui monte progressivement et nous amènera à la surface.
  • de ne pas recommencer à creuser, puisque nous avons appris désormais à repérer quand nous le faisons et à corriger cette manière de faire.

Les TCC peuvent éventuellement s’intéresser au pourquoi du trou originel, mais cela n’est pas absolument nécessaire. Le pourquoi considéré ne serait en outre pas celui de la psychanalyse mais plus axé sur les facteurs de personnalité.

L’hypnose eriksonienne et les thérapies stratégiques : retrouver la solution naturelle.

Je précise “eriksonienne” car l’hypnose est une technique qu’un thérapeute peut utiliser quelle que soit son approche théorique de prédilection (notamment en TCC). Seule l’hypnose telle qu’elle était pratiquée par le psychiatre américain Milton Erikson bénéficie d’une perspective lui étant propre.

Selon cette approche, ce n’est pas creuser qui est problématique, c’est simplement la façon de creuser. Si l’on s’est mis à creuser vers le bas, c’est que ce comportement nous a été utile à un moment, cela nous a servi de solution à une époque, dans un contexte différent. Mais maintenant, le contexte a changé et mettre en oeuvre cette vieille solution est devenue peu adaptée et commence à créer le problème.

La stratégie thérapeutique consiste à activer nos ressources naturelles pour nous mettre à creuser d’une manière adaptée à la situation, à savoir en faisant un tunnel ascendant. Pour cela, il faut utiliser l’hypnose pour mettre un peu en veilleuse le conscient qui, à toutes forces, veut utiliser sa vieille solution de creuser vers le bas. Alors allons-nous accéder à notre inconscient qui, selon Erikson, est un réservoir de potentialités, pour élaborer une autre solution plus adaptée à la situation.

Les thérapies familiales systémiques : rétablir l’équilibre.

Dans le cadre des thérapies familiales, nous creusons pour éviter à notre entourage familial de le faire. Car il nous arrêtions de creuser, ce serait quelqu’un d’autre qui le ferait. En conséquence, ça arrange un peu tout le monde que ce soit nous, même si personne n’en a vraiment conscience.

Le processus thérapeutique vise à ce que chaque personne de l’entourage prenne sa part du problème en creusant un peu de son côté. La terre que chacun extrait, ils nous la donnent pour que nous puissions remplir et tasser progressivement le fond de notre propre trou et ainsi remonter petit à petit. Jusqu’à ce que finalement chacun se trouve dans un trou peu profond dont il pourra sortir.

Voilà pour la métaphore du trou ! J’espère qu’elle vous aura permis de mieux vous représenter la situation, ses tenants et ses aboutissants.

Et bien sûr, si vous y êtes, j’espère qu’elle vous aidera à sortir de votre trou et à laisser votre pelle derrière vous pour aller vers la Vie.